Elles sont désormais à la Une de certains journaux, sur le devant de la scène, affichées dans les rues et même débattues au Parlement. Elles ont une « odeur de marécage, de violettes fanées », d’après Simone de Beauvoir. Elles inspirent encore du dégoût, mais ne sont plus bleues dans les publicités. Certes, elles tachent, mais ne souillent pas. Elles provoquent parfois des cris de douleurs alors que ce ne sont pas des blessures. Est-ce que l’« on s’habitue », dixit la chanson d’Angèle, dès l’enfance aux « crampes au ventre » et à « l’humeur de merde » ? « Non non non, c’est important, ce que t’appelles les ragnagnas », répond Stromae, car les règles sont politiques.

5,5 POUR SANG

L’année 2015 marque néanmoins un tournant en France, car la problématique du coût des règles est enfin abordée au Parlement français. C’est la célèbre lutte contre la « taxe tampon » initiée par le collectif Georgette Sand. À l’époque, les bouteilles de coca-cola sont moins imposées que les serviettes et les tampons. Non, ce n’est pas une (mauvaise) blague. L’Assemblée nationale votera favorablement pour la réduction à 5,5 %, contre 20 % du taux de TVA appliqué aux protections hygiéniques. Ces produits sont ainsi enfin considérés comme des produits de première nécessité.

SANGSURE DANS LES MÉDIAS

Mais la même année que le vote historique de cette loi, les règles sont invisibilisées sur l’un des plus importants réseau social du monde. La poétesse Rupi Kaur poste sur son compte Instagram une photographie d’elle, allongée de dos, le pantalon et les draps tâchés par ses règles. Le réseau social censure le cliché, car il enfreindrait son « règlement ». Suite : polémique. La publication devient virale. Au final, Instagram s’excusera et autorisera l’autrice à republier cette image.

En France, suite à la médiatisation des débats sur l’abaissement de la « taxe tampon », certains journaux commencent à considérer que les règles sont dignes de faire la Une : Courrier International en 2016 et L’Équipe en 2017. Trois essais écrits par des journalistes féministes inondent les librairies à quelques mois d’intervalle. Il s’agit de Ceci est mon sang d’Élise Thiébaut, Le grand mystère des règles de Jack Parker et Sang Tabou de Camille Emmanuelle.

SANGTÉ À LA GRATUITÉ !

Résultat des comptes : la visibilité des règles augmente, le coût des protections hygiéniques baisse, certes. Mais où en est-on de la gratuité des serviettes et des tampons hygiéniques qu’espère Corinne Masiero ? En Écosse, c’est le cas dans tous les bâtiments publics : une exception mondiale (pour l’instant). Le lieu où ce souhait de gratuité est le plus revendiqué est dans aucun doute : l’Université. Pour preuve, c’est une étudiante, Tara Heuzé-Sarmini, qui crée en 2015 Règles Élémentaires. A ce jour, il s’agit de la plus grande association française de lutte contre la précarité menstruelle et le tabou des règles.

En 2019, à l’initiative de sa vice-présidente Sandrine Rousseau, l’Université de Lille est la première en France à offrir des protections hygiéniques jetables puis réutilisables à ses étudiant·es et à installer des distributeurs dans les toilettes. Un rapport d’information et de recommandations sur les menstruations – paru en février 2020 et rédigé par les députées françaises Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine – recommande de généraliser ce dispositif à toutes les universités du pays. Alors en 2021, le gouvernement promet de l’appliquer. La Nouvelle-Zélande s’y ai aussi engagé l’année précédente.

EN Y RÉFLÉCHISSANG BIEN

Pourquoi les protections hygiéniques ne sont pas fournies gratuitement, au même titre que le papier toilette et le savon, dans toutes les toilettes publiques ? Utile à toutes, ce service est surtout nécessaire pour les femmes en situation de précarité, aux femmes sans abri, et aux femmes souffrant de règles hémorragiques. Ces dernières sont d’ailleurs souvent symptomatiques de maladies comme l’endométriose et/ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Mais cela ne concerne pas seulement les femmes. Mettre à disposition des protections hygiéniques dans les toilettes dites « hommes » permettrait à des hommes transgenres d’avoir accès facilement, eux aussi, à ces produits. Rendre visible les tampons et les serviettes, ne plus les cacher : c’est un moyen de combattre le tabou des règles. Et peut-être que l’idée germera dans l’esprit de quelques hommes d’ajouter des protections hygiéniques à leur liste de course. Pourquoi ? Pour qui ? Pour les personnes de passage dans leur logement qui en aurait besoin.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SANGLIDARITÉ

Les toilettes font partie des lieux les plus indispensables et intimes de notre vie quotidienne. Mais les toilettes publiques sont des endroits historiquement discriminants où il a fallu conquérir des droits. Ce sujet relève donc d’enjeux de santé publique et d’égalité de genre. En France, la présence des sanitaires dans les espaces publics s’est majoritairement développée au cours du XIXe siècle. À Paris, des urinoirs appelés vespasiennes sont installés à partir de 1834.

Les femmes et les personnes en situation de handicap n’y ont donc pas accès. En conséquence, elles passent moins de temps hors de leur domicile que les hommes. Si elles sont moins présentes dans l’espace public, elles sont alors davantage confinées à la sphère domestique. Il a fallu par exemple attendre la création des sanisettes – en 1980 ! – pour que les parisiennes puissent enfin avoir des sanitaires dans la rue.

SOIT DIT EN PASSANG

C’est dans la rue justement qu’en 2015 la street-artist allemande Elonë a décidé de sortir les serviettes hygiéniques de l’intime pour les exposer sur les murs de la ville de Karlsruhe. Elle s’en est servie de support pour inscrire des revendications féministes. Certains passants n’ont pas compris la démarche et l’ont trouvé provocante et choquante.

Sans doute pour tenter de ne pas se heurter à ce mur d’incompréhension, le collectif féministe Insomnia innova deux ans plus tard. Les militantes colorèrent l’eau d’une quinzaine de fontaines parisiennes en rouge pour attirer l’attention sur des problématiques liées aux règles. Parmi les slogans collés sur ces monuments : « Le sang de la violence ne choque pas, le sang des règles dégoûte ».

CACHEZ CE SANG QUE JE NE SAURAIS VOIR !

L’humoriste et autrice Élodie KV a fait face à ce dégoût des règles : « Quand j’ai commencé, mon spectacle était programmé en fin de scène ouverte – entre autres – à cause de ce sketch sur les règles. On me disait qu’il était trop « trash ». Je ne l’ai pourtant jamais considéré ainsi. Mais grâce à la parole qui se libère, les règles ne sont plus un sujet autant subversif qu’avant », selon elle. En tout cas, il ne laisse personne indifférent.

« Si des spectateurs décident de sortir lors d’une de mes performances, c’est parce qu’ils ne supportent pas la vue du sang. Cela leur évoque la violence et la souffrance. J’essaie pourtant de faire deviner explicitement qu’il ne s’agit pas du tout de ça. Parfois, le public ne comprend pas qu’il s’agit de sang menstruel », explique Paola Daniele, danseuse, chorégraphe et fondatrice du collectif Hic est sanguis meus (groupe d’artistes qui ont pour point commun de travailler sur la thématique des règles).

C’est peut-être ce qu’il s’est produit lors de l’intervention de Corinne Masiero aux César, en 2020 ? Elle a pourtant disséminé des indices lors de sa prestation : tampons en guise de boucles d’oreilles, mention du film Carrie au bal du diable, adapté du roman Carrie de Stephen King (dont la scène dans les douches, au tout début, est mémorable). Enfin, l’actrice demande à la maîtresse de cérémonie Marina Foïs : « C’est trop trash ? Trop sanglant ? C’est pas mon sang hein, je suis ménopausée». Promis, devant ma télévision, je n’ai pas rougi. Je me suis réjouie.

En 2019, à l’initiative de sa vice-présidente Sandrine Rousseau, l’Université de Lille est la première en France à offrir des protections hygiéniques jetables puis réutilisables à ses étudiant·es et à installer des distributeurs dans les toilettes. Un rapport d’information et de recommandations sur les menstruations – paru en février 2020 et rédigé par les députées françaises Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine – recommande de généraliser ce dispositif à toutes les universités du pays. Alors en 2021, le gouvernement promet de l’appliquer. La Nouvelle-Zélande s’y ai aussi engagé l’année précédente.